Brink
Journal des développeurs : conception audio
Nous venons de publier une toute nouvelle vidéo de gameplay de Brink, «A Choir of Gun », illustrant le dernier journal des développeurs réalisé par le directeur audio de Splash Damage : Chris Sweetman.
Introduction
Je m'appelle Chris Sweetman, je suis directeur audio chez Splash Damage et ce journal des développeurs parlera de la conception audio de Brink. Que fait un directeur audio de ses journées ? Eh bien, je suis responsable de la qualité de tout ce qui s'entend dans nos jeux : musique, dialogues et conception sonore. Cela recouvre des domaines aussi divers que l'ambiance sonore en cours de partie, les scènes cinématiques, les bandes-annonces et des tas d'autres choses.
Je travaille en liaison avec des compositeurs pour la musique et les licences, des comédiens pour les dialogues et... tout seul pour la conception sonore. J'ai aussi à mes côtés Simon Price, notre programmeur dédié à l'audio. Sans lui, rien de tout cela ne serait possible.
Espace sonore
J'ai pratiqué pas mal de jeux de tir en solo et en multi-joueurs et un point m'a toujours préoccupé : l'espace sonore. En d'autres termes, comment faire pour surmonter le problème lié à un trop grand nombre de sons diffusés simultanément ? Lorsque de la musique, des coups de feu, des dialogues, des bruitages, des explosions et des bruits d'ambiance viennent se superposer, on n'aboutit généralement qu'à une bouillie sonore. Nous étions déterminés à résoudre ce problème dès le début du développement de Brink.
J'avais réalisé quelques progrès en travaillant sur BLACK avec le concept Choir of Guns (chœur d'armes à feu), mais il était clair dès le début que notre souhait de gommer la frontière entre jeu en solo et multi-joueurs dans Brink allait nous amener à placer la barre plus haut. Nous voulions que chacun des sons de Brink soit parfaitement audible, qu'il s'agisse de l'explosion d'un cocktail Molotov, de la mise en rotation d'un minigun ou d'un joueur dépassant le quintal déboulant pour vous écraser le portrait. Pour que ces sons puissent être entendus correctement, il fallait que le mixage audio dispose d'un espace suffisant. Le défi prend toute sa dimension quand on sait qu'il est tout à fait possible que 16 joueurs situés dans la même portion d'un niveau déclenchent tous les mêmes sons...
Qui plus est, nous avions décidé de relever trois défis difficiles dans Brink (au-delà du fait que chaque son doive être cool, bien entendu) :
- Nous voulions tirer profit de l'audio pour améliorer le gameplay. Il est très facile de tomber dans le piège consistant à se contenter de rattacher des sons à l'action alors qu'il est extrêmement important de coopérer avec les concepteurs des niveaux sans avoir peur d'annoncer "Cette action, à cet instant précis, ne nécessite pas de son."
- Dans la mesure où le système SMART allait constituer une part très importante des interactions du joueur avec l'univers du jeu, je tenais à en accentuer la sensation d'intégration par le biais des bruitages.
- Enfin, Brink étant un FPS, les bruits des armes venaient en tête de liste. L'arme du joueur est, d'une certaine manière, l'acteur principal car elle est visible à l'écran 95 % du temps, alors il faut qu'elle ait une belle voix !
Un chœur d'armes à feu
Résoudre le problème lié à la présence potentielle de 16 joueurs faisant feu et entendant la même explosion à courte distance a nécessité un peu d'ingéniosité.
Nous avons commencé par répartir les armes selon les deux factions du jeu, la Sécurité et la Résistance. Comme nous avions déjà décidé d'attribuer aux armes une apparence différente selon le camp choisi, c'était logique. Le bruit des armes de la faction Sécurité reflète leur caractère bien entretenu et leurs coups de feu sont claquants et précis, comme si l'on sentait l'huile utilisée pour les lubrifier. De son côté, la version Résistance d'une même arme sonne beaucoup plus usée, vieille, et ses coups de feu sont plus rauques et grinçants, comme si, à l'opposé, on ressentait le jeu des pièces.
De ce fait, à l'étape du concept, les bruits des armes ont été conçus selon différents timbres, presque comme s'il s'agissait d'un chœur (alto, baryton, ténor...). L'idée était de faire en sorte qu'en cas d'emploi d'armes au bruit similaire très près les unes des autres, les sons s'harmonisent au lieu de "s'enterrer" mutuellement.
Au-delà, nous avons attribué à chaque arme trois échelons distincts en termes de distance :
- 1. un son proche, c'est-à-dire ce que l'on entendrait si un autre joueur se trouvait juste à côté.
- 2. un sample moyenne distance employé lorsque le coup de feu serait tiré à 5 ou 6 mètres.
- 3. un sample lointain correspondant à ce que l'on entendrait en cas de tir à plus de 6 mètres.
Ces samples s'entremêlent sans se "heurter" et, incidemment, permettent de mieux retracer l'ambiance du combat en fonction des événements intervenant en cours de partie.
Dans la mesure où ils ne sont pas cristallisés dans un paysage sonore d'ambiance, ces trois échelons de distance génèrent une atmosphère de combat interactive. Le joueur est capable de déterminer avec précision où un combat a lieu et à quelle distance.
Un bon rendu sonore des déplacements
Notre système de déplacement SMART offrait un défi intéressant car nous devions veiller à ce que le joueur entende sa progression sur une carte, passant des lieux fermés aux toboggans avant d'escalader des parois et d'en bondir. Par ailleurs, nos discussions avec des joueurs assidus sur PC nous a permis de découvrir un petit secret : lors de leurs parties en ligne sur PC, ils désactivent tous les sons d'ambiance afin d'entendre les bruits de pas de leurs adversaires.
Ceci nous a ouvert des orientations nouvelles et intéressantes. Les bruits des déplacements allaient devoir faire office de "narrateur" du jeu et informer les joueurs de la situation au sein de la partie. Nous avons alors organisé une séance de deux jours auprès de Glen Gathard, de Shepperton Studios, avec pour bruiteur Andrea King. Nous sommes arrivés avec une longue liste et avons tout enregistré, des bruitages des vêtements (qui varient en fonction du nombre de vêtements du personnage) aux bruits de rotation des tourelles.
Les bruitages constituent, selon moi, l'un des domaines à explorer en matière de conception sonore des jeux et nous avons mis le paquet pour Brink. Pour commencer, chaque catégorie de poids dispose de son propre assortiment de bruits de pas de manière à entendre si le personnage qui approche du coin de bâtiment voisin est de poids léger, moyen ou lourd. Nous avons aussi accordé beaucoup de temps aux bruitages des armes, chacune d'elles disposant de divers sons personnalisés, aussi bien lorsqu'on les tient à bout de bras que lorsqu'on les épaule.
La voix juste pour les armes
Le bruit des armes est l'un des défis les plus importants de la conception sonore d'un jeu de tir. Avant tout, il nous fallait des matériaux de base et, compte tenu de la portée du jeu, j'ai décidé de ne pas recourir à des sonothèques sur CD contenant des bruits déjà utilisés dans d'autres jeux. Nous avons procédé à des enregistrements inédits.
J'ai pris contact avec un de mes amis, Charles Maynes, qui est l'un des enregistreurs d'armes les plus expérimentés et les plus talentueux que je connaisse. Nous avons mis sur pied une séance de deux jours dans le désert, à proximité de Las Vegas, afin d'enregistrer 35 armes.
Notre "casting" était composé d'une belle brochette de personnages : nous avions sélectionné un assortiment d'armes allant des plus modernes à des engins datant de la Seconde Guerre mondiale. Les armes anciennes produisent un bruit très caractéristique, plus mécanique que celui des armes de guerre actuelles. Les fusils et mitrailleuses de la Seconde Guerre mondiale étaient souvent usinés dans la masse et équipés d'une crosse en bois, ce qui génère à la fois des bruits de maniement "secs" et des coups de feu "chauds", une résonance différente de celle des armes modernes en acier embouti et polymères. Une mitrailleuse moyenne Browning M1918 halète, tousse et claque lorsqu'elle engloutit sa bande de cartouches de .30, c'est très différent du bruit d'une arme moderne telle que la M249 Minimi qui tire du 5,56 mm (mais nous l'avons enregistrée aussi, au cas où).
De retour au studio, ces enregistrements sont devenus les bases de tous les bruits d'armes que peut entendre un joueur de Brink, et chaque arme a été conçue en amalgamant différents enregistrements.Le bon mode de diffusion Right Way
La diffusion des bruits des armes est un élément incroyablement important d'un jeu d'action. Les deux méthodes les plus courantes sont l'emploi de samples uniques déclenchés par du code ou le recours à une boucle.
Malheureusement, l'une et l'autre posent des problèmes. La succession de coups de feu séparés ne reproduit jamais fidèlement une rafale d'arme automatique. Les armes présentent par nature un décalage lors du tir, chose qu'il est impossible d'intégrer aux samples en faisant appel à des coups de feu uniques. Les boucles règlent en partie ce problème, mais une boucle se répète toujours de la même manière, sans la moindre variation.
Conscients de ces difficultés, nous avons décidé de laisser ces deux méthodes de côté et avons mis au point, pour Brink, une solution spécifique. Nous avons créé un système "granulaire" divisant une rafale enregistrée d'environ 15 cartouches en trois groupes principaux : débuts, milieux et fins.
- Le début constitue l'attaque initiale ; il correspond à la première cartouche tirée et reste toujours identique.
- Les milieux sont les petites portions de chaque coup de feu, découpées en morceaux.
- Les fins correspondent à la dernière cartouche d'une rafale ; comme les débuts, ces samples demeurent toujours identiques.
À l'aide d'un bout de programmation magique, le jeu examine si le joueur est en train de tirer et assemble dynamiquement les bruits des tirs à partir des éléments décrits ci-dessus. Cette méthode de diffusion permet un nombre incroyable de variantes car elle nous permet d'intégrer dynamiquement, au vol, les milieux à partir de notre stock de samples. Elle conserve aussi le décalage présent dans les enregistrements effectués, ce qui accroît l'authenticité du son.
En joue
J'ai aussi voulu explorer la différence de son entre une arme épaulée et une arme avec laquelle on fait feu au jugé, depuis la hanche.
Jusqu'ici, les jeux utilisaient le même son, mais il n'est pas très logique qu'une arme fasse le même bruit si la distance qui la sépare de la tête du tireur n'est pas la même. Lorsque votre oreille est nettement plus proche des pièces mobiles de l'arme et que la longueur de l'arme occulte partiellement le bruit à la sortie du canon, le son est nettement différent dans le monde réel, et doit donc l'être aussi dans le jeu.
Ceci nous a amenés à procéder à des enregistrements d'armes présentant des bruits de fonctionnement clairs, riches et claquants (de ce point de vue, les lourdes armes de la Seconde Guerre mondiale se sont montrées brillantes) ainsi que d'armes à silencieux telles que le pistolet Stechkin APS, le pistolet-mitrailleur L34A1 Sterling et la carabine De Lisle. Ces bruits bruts d'armement, d'approvisionnement, de détente, de percuteur et d'éjection m'ont fourni les bases d'un second éventail de bruits "d'épaule" pour chaque arme, qui offrent un son nettement plus mécanique et "plus proche des organes internes" que leurs équivalents au jugé.
Conclusion
J'espère avoir réussi à vous montrer qu'il ne suffit pas de posséder de nombreux bruits cool distincts, séparés (même s'il est clair qu'ils sont indispensables pour commencer à travailler). Il faut aussi les présenter au joueur d'une manière cohérente, qui vienne soutenir le gameplay. Les méthodes adoptées pour Brink nous ont permis de créer un espace sonore incroyablement étendu dans lequel chaque son peut être perçu dans les conditions souhaitées. Même lorsque 16 joueurs feront feu simultanément, vous parviendrez à entendre le gros costaud qui approche...
Images de Brink
Vidéo de Brink
Informations complémentaires
Titre : Brink
Editeur : Bethesda Softworks
Studio : Splash Damage
Plateformes : PS3, Xbox 360, PC
Date de sortie : à définir